Musicalement parlant, le grégorien est un chant monodique, c’est à dire que les chanteurs y chantent tous la même mélodie, n’usant en outre que de la gamme naturelle (jamais tempérée par des dièses ou des bémols ; seul le si bémol est toléré). L’outillage musical du grégorien est donc extrêmement simple, fruste même, si on le compare à ce qu’est devenue la musique de nos jours. L’oreille moderne habituée à la gamme tempérée, aux accords et à l’harmonisation de diverses voix ou instruments est invitée se purifier et s’élever par cette simplicité même du grégorien qui en fait une réalité sonore assez originale. Avec le grégorien on entre dans un univers musical qui semble, pour une oreille moderne, un peu exotique, inédit, partageant pourtant ces particularités avec la plupart des répertoires antiques. Il faut reconnaître dans ces critères ceux-là mêmes de la liturgie en général.
L’Eglise en est arrivée là à la suite de beaucoup de réticences concernant le chant sacré. St Jérôme et les premiers moines (des ermites) condamnaient le chant solennel à l’Eglise. Les muses païennes leur semblaient s’être alliées pour exercer leur pouvoir maléfique dans la musique. Le culte païen d’ailleurs faisait largement usage de la musique dans l’intention superstitieuse d’entrer par elle dans le monde des dieux, et en notre temps on connaît des déviations aussi suspectes (certaines formes du rock, ou avec d’autres moyens, le New Age). Le christianisme devait dénoncer l’univers musical comme envoûté de façon bien ambiguë, sous la motion des démons. De ce fait, la liturgie chrétienne a longtemps affectionné une sorte de puritanisme. Néanmoins en contraste avec la froide réaction contre ces excès, Saint Paul décrivait des réunions vibrantes de joie et de chant, comme, d’ailleurs, au sortir du Cénacle à la Pentecôte où l’on crut les disciples ivres de vin doux (Cf. Actes 2,13 & Ephésiens 5,19s). St Ambroise a vanté la modestie propre à cette ivresse, en la nommant chaste ivresse de l’Esprit.
Un chant sacré se méfie de tout excès.
L’Eglise a donc exorcisé ce domaine. On doit à St Grégoire pour le chant ce qui fut fait à l’égard des images sacrées un siècle après lui. L’iconoclasme fut condamné lorsqu’on prit bien conscience que depuis l’Incarnation la création, après avait été l’instrument de la tyrannie des démons, était redevenue instrument pour nous mener à Dieu. Saint Augustin dans ses Confessions avoue tour à tour l’attrait dangereux de la musique sur ses sens et le rôle que pourtant elle a joué dans sa conversion à Milan.