PETIT TRAITÉ SUR LA FOI
PAR LES TEMPS QUI COURENT…
par le cardinal Robert Sarah
Textes extraits de “Le soir approche et déjà le jour baisse“
I) Ce qu’est la Foi
1) Une participation réelle à la connaissance de Dieu
2) Le trésor de la Foi
3) Témoigner de la Foi
4) La Foi est une adhésion à un contenu objectif et non subjectif
5) L’urgence de réenseigner le catéchisme
6) Lutter contre le relativisme ambiant
7) L’exemple des martyrs
8) L’exemple des missionnaires
9) La nécessité d’être à notre tour des missionnaires de la Foi
10) L’importance de la Foi pour le salut
11) Evangéliser n’est pas une atteinte à la liberté
II) Foi et raison
III) Notre force réside dans la Foi
1) Force et douceur chrétiennes
2) Notre force est fondée dans la Foi
3) La force est nécessaire pour les familles
4) Les prêtres et les consacrés ont eux aussi besoin de force
5) La force de la Foi, c’est la Vérité du Christ
6) Créer des îlots de vérité
IV) La Foi est notre joie
1) Garder l’esprit de Foi
2) La Foi est source de joie
3) Le courage de la Foi
4) « Reste avec nous, Seigneur… car le soir approche et déjà le jour baisse »
I) Ce qu’est la Foi [1]
1) Une participation réelle à la connaissance de Dieu
La foi amplifie notre regard, elle nous permet d’observer toute chose avec le regard même de Dieu, avec les yeux de Dieu. La foi nous fait entrer dans le mystère. Contrairement à une idée bien sotte, la foi dilate l’intelligence. La foi n’enferme pas, elle ne nous interdit pas de réfléchir ; elle approfondit au contraire notre compréhension du monde et des hommes. Elle nous aide à pénétrer au fond des choses, dans leur mystérieuse réalité, dans le secret de leur être intime. Elle nous permet de voir ce qui nous est habituellement obscur. Sans la foi, toute une part de la réalité nous est interdite. La foi nous ouvre une porte sur la profondeur du réel. Grâce à la foi, l’univers nous apparaît dans toute son amplitude comme « une église cosmique dont la nef serait le monde sensible et le chœur le monde spirituel », pour reprendre les mots de saint Maxime le Confesseur.
Le fait de croire dépasse la conviction intellectuelle. L’acte de foi est une participation réelle à la connaissance de Dieu lui-même, à son regard sur toute chose. Je me souviens d’une très belle page du romancier roumain Virgil Gheorghiu dans De la vingt-cinquième heure à l’heure éternelle, décrivant l’expérience d’un enfant qui porte tout à coup un regard de foi sur le monde et les hommes : « C’était donc un dimanche. Et c’était après la Divine liturgie. Je regardais les gens du village sortant de l’église. […] Tout le village était présent. Car le dimanche, personne ne manque jamais la Divine liturgie. […] Tout le monde semblait transfiguré, dépouillé de toute préoccupation terrestre, sanctifié. Et même plus que sanctifié : déifié. […] Je savais pourquoi tous les visages étaient beaux et pourquoi tous les regards étaient illuminés. Car les femmes laides étaient belles. Les deux bûcherons portaient sur leurs joues et sur leurs fronts des lumières pareilles aux auréoles des saints. Les enfants étaient comme des anges. En sortant de la Divine liturgie, tous les hommes et toutes les femmes de notre village étaient théophores, c’est-à-dire des Porteurs de Dieu. […] Je n’ai jamais vu peaux ni chairs plus belles que sur le visage des Théophores, des gens qui portent en eux l’éblouissante lumière de Dieu. Leur chair était déifiée, sans poids ni volume, transfigurée par la lumière de l’Esprit divin. »
En vérité, la foi nous conduit à faire l’expérience de la transfiguration. Bien entendu, cette expérience se vit tous les jours dans une forme d’obscurité souvent aride. Mais, déjà, nous goûtons par anticipation ce que nous verrons dans l’éternité par le regard même de Dieu.
2) Le trésor de la Foi
Nous devons vivre à la hauteur de notre vocation chrétienne. Nous devons nous souvenir toujours de la parole du pape saint Léon : « Reconnais, chrétien, ta dignité ! » J’ajouterais : Ne te prive pas du trésor de la foi. Le Christ est venu nous ouvrir à la pleine intelligence et nous voudrions retourner aux ténèbres ? Certains chrétiens semblent vouloir se priver de cette lumière. Ils se contraignent à voir le monde avec un regard sécularisé. Pourquoi ? Est-ce un désir d’être accepté par le monde ? Un désir d’être comme tout le monde ? Je me demande si, au fond, cette attitude ne masque pas tout simplement la peur qui nous fait refuser d’entendre ce que Jésus lui-même nous dit : « Vous êtes le sel de la terre, vous êtes la lumière du monde. » Quelle responsabilité ! Quelle charge ! Renoncer à être le sel de la terre, c’est condamner le monde à rester fade et sans goût, renoncer à être la lumière du monde, c’est le condamner à l’obscurité. Nous ne devons pas nous y résoudre. Il arrive même que des pasteurs, voulant « rencontrer le monde », délaissent délibérément ce regard de foi pour adopter un regard profane. Quelle déchéance ! En faisant nôtres des catégories nées dans un contexte athée, on choisit la cécité et l’étroitesse de vue. Libérons-nous d’un tel complexe ! Tournons-nous vers le monde, mais pour lui porter la seule lumière qui ne trompe pas : « Lorsque l’Eglise se tourne vers le monde, cela ne peut pas signifier quelle supprime le scandale de la Croix, mais uniquement qu’elle le rend de nouveau accessible dans toute sa nudité. […] Si pour l’Église se tourner vers le monde signifiait se détourner de la Croix, cela la conduirait non pas à un renouveau, mais “à sa fin” », disait avec gravité Benoît XVI le 28 juin 2010.
3) Témoigner de la Foi
Il y a, chez beaucoup de chrétiens, une répugnance à témoigner de la foi ou à porter au monde la lumière. Notre foi est devenue tiède, tel un souvenir qui s’estompe peu à peu. Elle devient comme un brouillard laiteux. Alors nous n’osons plus affirmer qu’elle est l’unique lumière du monde. Pourtant, il faut affirmer avec le cardinal Ratzinger dans son ouvrage Foi, vérité et tolérance : « La foi chrétienne n’est pas le produit de nos expériences intérieures, mais un événement qui, de l’extérieur, vient à notre rencontre. La foi repose sur l’irruption de quelque chose – ou de quelqu’un – que notre expérience ne pourrait atteindre par elle-même. Bien sûr, ce qui nous touche produit en nous une expérience, mais l’expérience est le fruit d’un événement et non d’une descente en ce qui nous est propre. Tel est le sens de la notion de Révélation, ce qui n’est pas mien, ce qui n’existe pas en moi, vient vers moi et m’arrache à moi-même, m’entraîne au-delà de moi-même, crée quelque chose de nouveau. »
Comment pourrions-nous porter au monde une expérience strictement personnelle, une illumination incommunicable ? Nous avons à témoigner non de nous-mêmes, mais de Dieu qui est venu à notre rencontre et s’est révélé. Dieu s’est montré, il nous a montré son visage en Jésus. Il est mort pour nous sauver du péché et nous offrir sa béatitude : « La Révélation est irruption du Dieu vivant et vrai dans notre monde, elle nous libère des geôles de nos théories », disait le cardinal Ratzinger à Guadalajara en 1996.
4) La Foi est une adhésion à un contenu objectif et non subjectif
La foi est tout ensemble un acte intime, personnel, intérieur, et une adhésion à un contenu objectif que nous n’avons pas choisi. Par la foi, nous posons personnellement un acte par lequel nous décidons de nous en remettre totalement à Dieu en pleine liberté. Je crois : par cet acte, le cœur, authentique sanctuaire de la personne, s’ouvre sous l’influence de la grâce au contenu objectif que Dieu révèle et auquel nous donnons notre assentiment. Alors la foi s’épanouit en profession, c’est-à-dire en témoignage public. Notre croyance ne peut jamais rester purement privée. La foi, parce qu’elle est un acte de liberté, exige d’assumer devant tous la responsabilité qu’elle engage. La foi ne peut donc être confessée que dans l’Église, avec l’Église, qui nous transmet la connaissance intégrale du mystère, des contenus à connaître et à croire.
En faisant de la foi un pur sentiment personnel, on la rend incommunicable, on la coupe de l’Église et, surtout, on la vide de tout contenu. Il est donc urgent d’insister sur l’enseignement du catéchisme aux adultes comme aux enfants. Nous disposons pour cela d’un merveilleux outil : le Catéchisme de l’Église catholique et son Compendium. L’enseignement du catéchisme ne se réduit pas à une connaissance intellectuelle des contenus. Il favorise une vraie rencontre avec Jésus, qui nous a révélé ces vérités. Tant que nous n’avons pas rencontré physiquement Jésus, nous ne sommes pas vraiment chrétiens.
5) L’urgence de réenseigner le catéchisme
Je crois que les évêques doivent retrouver le sens de la catéchèse. Nous devons apprendre à redevenir des catéchèses, des enseignants fidèles des vérités divines. C’est, après tout, une de nos premières missions. Regardez les évêques de la primitive église — Ambroise, Augustin, Jean Chrysostome, Basile, Grégoire : ils passaient l’essentiel de leur temps à enseigner, à catéchiser de manière simple, humble et directe. Ils ne faisaient pas des cours de théologie, ils ne commentaient pas l’actualité. Ils osaient enseigner au peuple de Dieu parce qu’ils savaient que, à travers leurs mots, les fidèles rencontraient Jésus. Aujourd’hui, on oppose enseignement et expérience. L’expérience de Dieu ne peut se faire qu’à travers l’enseignement : « Comment croiraient-ils si personne ne prêche ? », demande saint Paul (Rm 10, 14-15).
Cette défaillance de la catéchèse conduit bien des chrétiens à entretenir une forme de flou autour de la foi. Certains choisissent de croire à tel article du Credo et rejettent tel autre. On en vient même à faire des sondages sur l’adhésion des catholiques à la foi chrétienne… La foi n’est pas un étal de marchand où l’on choisirait les fruits et légumes qui nous conviennent. En la recevant, c’est Dieu tout entier que nous recevons. « Homme de foi trop habituée et trop passive, peut-être les dogmes ne sont-ils plus pour nous le Mystère dont nous vivons, le Mystère qui doit s’accomplir en nous », disait le père Henri de Lubac dans Paradoxes. J’appelle solennellement les chrétiens à aimer les dogmes, les articles de foi, et à les chérir. Aimons notre catéchisme. Si nous le recevons non seulement avec les lèvres mais avec le cœur, alors, par les formules de la foi, nous entrerons vraiment en communion avec Dieu.
6) Lutter contre le relativisme ambiant
Il est temps d’arracher les chrétiens au relativisme ambiant qui anesthésie les cœurs et endort l’amour. Henri de Lubac ajoutait : « Si l’hérétique ne nous fait plus horreur aujourd’hui comme il faisait horreur à nos ancêtres, est-ce à coup sûr parce que nous avons au cœur plus de charité ? Ou ne serait-ce pas peut-être trop souvent, sans que nous osions le dire, parce que l’objet du litige, à savoir la substance même de notre foi, ne nous intéresse plus ? […] Alors, en conséquence, l’hérésie ne nous choque plus ; du moins ne nous bouleverse-t-elle plus comme ce qui tenterait de nous arracher l’âme de notre âme. […] Ce n’est pas toujours, hélas! la charité qui a grandi, ou qui est devenue plus éclairée : c’est souvent la foi qui a diminué, le goût des choses éternelles. »
7) L’exemple des martyrs
Il est temps que la foi devienne pour les chrétiens le trésor le plus intime et le plus précieux. Songeons à tous ces martyrs morts pour la pureté de leur foi à l’époque de la crise arienne : pour confesser que le Fils n’est pas seulement semblable au Père, mais d’une seule substance avec lui, combien d’évêques, de prêtres, de moines ou de simples croyants ont souffert la torture et la mort. C’est notre rapport avec Dieu qui est en jeu, pas seulement des querelles théologiques. On mesure à notre apathie devant les déviations doctrinales la tiédeur qui s’est installée parmi nous. Il n’est pas rare de voir enseignées de graves erreurs dans les universités catholiques ou dans les publications officiellement chrétiennes. Personne ne réagit ! Nous autres évêques, nous nous contentons de mises au point prudentes et timorées. Prenons garde, un jour les fidèles nous demanderont des comptes. Ils nous accuseront devant Dieu de les avoir livrés aux loups, et d’avoir déserté notre poste de pasteur défendant la bergerie. Je n’appelle pas ici à restaurer l’Inquisition ! Mon cri est un cri d’amour ! Notre foi conditionne notre amour pour Dieu. Défendre la foi, c’est défendre les plus faibles, les plus simples, et leur permettre d’aimer Dieu en vérité.
Chers frères évêques, prêtres, et vous tous baptisés, nous devons brûler d’amour pour notre foi. Nous ne devons pas la ternir, la diluer dans des compromissions mondaines. Nous ne devons pas la falsifier, la corrompre. Il en va du salut des âmes, les nôtres et celles de nos frères ! « Le jour où vous ne brûlerez plus d’amour, d’autres mourront de froid », écrivait François Mauriac. Le jour où nous ne brûlerons plus d’amour pour notre foi, le monde mourra de froid, privé de son bien le plus précieux. C’est à nous qu’il revient de défendre et d’annoncer la foi !
8) L’exemple des missionnaires
Quelle grâce pour moi, enfant d’Afrique, d’avoir vu arriver jusqu’à mon village des missionnaires français dont la foi était suffisamment brûlante pour qu’ils aient quitté leur patrie, leur famille, et soient venus mourir chez moi. Beaucoup sont morts très jeunes, offerts en holocaustes pour la gloire de Dieu et le salut des âmes. Le père Firmin Montels, fondateur de ma paroisse Sainte-Rose-d’Ourous, est mort six mois après son arrivée au village en chantant « O Salutaris hostia ». Qui aujourd’hui se lèvera pour annoncer aux villes d’Occident la foi qu’elles attendent ? Qui se lèvera pour annoncer la vraie foi aux musulmans ? Ils la recherchent sans le savoir. Qui seront les missionnaires dont le monde a besoin ? Qui seront missionnaires qui enseigneront l’intégrité de la foi à tant de catholiques qui ignorent ce à quoi ils croient ?
9) La nécessité d’être à notre tour des missionnaires de la Foi
Ne menons plus la lumière de la foi sous le boisseau, ne cachons plus ce trésor qui nous a été donné gratuitement ! Osons annoncer, témoigner, catéchiser ! Nous ne pouvons plus nous dire croyants et vivre en pratique comme des athées. La foi éclaire toute notre vie, pas seulement notre vie spirituelle. En se réclamant de la tolérance ou de la laïcité, on s’impose une forme de schizophrénie entre la vie privée et la vie publique. La foi a sa place dans le débat public. Nous devons parler de Dieu, non pour l’imposer mais pour le proposer. Dieu est une lumière indispensable pour l’homme. En 2007, la congrégation pour la Doctrine de la foi a dû rappeler à tous la légitimité de l’évangélisation et de l’annonce de la foi. En effet, toute tentative de convaincre, lorsque des questions religieuses sont en jeu, peut être perçue comme une entrave à la liberté. On affirme qu’il suffit d’aider les hommes à être plus hommes, et on les renvoie à leur conscience. Or la conscience a besoin d’être éclairée. Nous vivons du témoignage les uns des autres. Le concile Vatican II nous a rappelé que « la vérité ne s’impose que par la force de la vérité elle-même ». La vérité doit être cherchée et découverte librement. Mais il est également précisé dans Gaudium et spes que le respect de cette liberté ne doit « en aucune façon nous rendre indifférents à l’égard de la vérité et du bien. Mieux, c’est l’amour même qui pousse les disciples du Christ à annoncer à tous les hommes la vérité qui sauve ».
10) L’importance de la Foi pour le salut
La note doctrinale sur certains aspects de l’évangélisation de la congrégation pour la Doctrine de la foi rappelait quant à elle : « La Vérité qui sauve la vie enflamme le cœur de celui qui la reçoit par l’amour pour le prochain, qui pousse la liberté à redonner ce que l’on a reçu gratuitement. Même si les non-chrétiens peuvent se sauver au moyen de la grâce que Dieu donne “par des voies connues de lui”, l’Église ne peut pas ne pas tenir compte du fait qu’en ce monde il leur manque un très grand bien : connaître le vrai visage de Dieu et l’amitié avec Jésus-Christ, Dieu avec nous. En effet, “il n’y a rien de plus beau que d’être rejoints, surpris par l’Évangile, par le Christ. Il n’y a rien de plus beau que de Le connaître et de communiquer aux autres l’amitié avec lui”. Pour tout homme, la Révélation des vérités fondamentales sur Dieu, sur soi-même et sur le monde est un grand bien ; en revanche, vivre dans l’obscurité, sans la vérité sur les questions ultimes est un mal, souvent à l’origine de souffrances et d’esclavages parfois dramatiques. Voilà pourquoi saint Paul n’hésite pas à décrire la conversion à la foi chrétienne comme une libération “du règne des ténèbres” et une entrée “dans le Royaume de son Fils bien-aimé, par qui nous sommes rachetés et par qui nos fautes sont pardonnées” (Col 1, 13-14). Ainsi, la pleine adhésion au Christ, qui est la Vérité, et l’entrée dans son Église ne diminuent pas mais exaltent la liberté humaine et la projettent vers son accomplissement, dans un amour gratuit et plein d’attention pour le bien de tous les hommes. C’est un don inestimable que de vivre dans le cercle universel des amis de Dieu, qui provient de la communion avec la chair vivifiante de son Fils, de recevoir de Lui la certitude du pardon des péchés et de vivre dans la charité qui naît de la foi. L’Église veut faire participer toutes les personnes à ces biens, afin qu’elles aient ainsi la plénitude de la vérité et des moyens de salut, “pour connaître la liberté de la gloire des enfants de Dieu” (Rm 8, 21).
11) Évangéliser n’est pas une atteinte à la liberté
“Toutefois, l’annonce missionnaire de l’Église est aujourd’hui” “mise en péril par des théories relativistes, qui entendent justifier le pluralisme religieux, non seulement de facto mais aussi de iure (ou en tant que principe)”. Depuis longtemps, on en est venu à créer une situation dans laquelle, pour beaucoup de fidèles, la raison d’être même de l’évangélisation n’apparaît plus évidente. On affirme même que la prétention d’avoir reçu en don la plénitude de la Révélation de Dieu cache une attitude d’intolérance et un danger pour la paix. Celui qui raisonne ainsi ignore que la plénitude du don de la vérité que Dieu fait en se révélant à l’homme respecte la liberté qu’il a lui-même créée, comme trait indélébile de la nature humaine : cette liberté n’est pas indifférence, mais tension vers le bien. Un tel respect est une exigence de la foi catholique elle-même et de la charité du Christ ; il est constitutif de l’évangélisation. C’est donc un bien à promouvoir, sans le dissocier de l’engagement visant à faire connaître et à embrasser librement la plénitude du salut que Dieu offre à l’homme dans l’Église. […] Cet amour vit dans le cœur de l’Église et, à partir de là, comme un feu de charité, se répand jusqu’aux confins de la terre, jusque dans le cœur de tout homme. En effet, le cœur entier de l’homme attend de rencontrer Jésus-Christ. On comprend dès lors l’urgence de l’invitation du Christ à évangéliser et le fait que la mission confiée aux apôtres par le Seigneur concerne tous les baptisés. Les paroles de Jésus, “Allez donc ! de toutes les nations faites des disciples, baptisez-les au nom du Père, et du Fils, et du Saint- Esprit ; apprenez-leur à garder tous les commandements que je vous ai donnés” (Mt 28, 19-20), interpellent tout le monde dans l’Église, chacun selon sa vocation. »
II) Foi et raison [2]
L’inculture contemporaine est la ruine de l’homme. Celui-ci est quasiment revenu à un stade animal. La dilution de la culture engendre une forme de sentimentalisme pervers et vide. Il nous faut réapprendre à connaître Jésus-Christ, à croire qu’il nous aime et qu’il est mort par amour pour nous. Il faut réapprendre le catéchisme de l’Église catholique. Il faut avoir le courage et la détermination d’acquérir la connaissance des vérités fondamentales du Credo de la foi catholique. Pourquoi de nombreux catholiques devraient-ils s’accommoder d’une piété analphabète, sans arguments, d’une religion réglée sur des spasmes émotionnels, sentimentale, d’une morale aveugle privée de l’assise d’une doctrine solide ?
La culture nous conduit à la clarté. Mais il faut passer par des étapes exigeantes, par un travail intense et des combats conduits avec intelligence.
Les Romains employaient cette maxime : « Ars sine scientia nihil est », « l’art sans la science n’est rien ». Le manque de recours à l’intelligence est un naufrage. Il n’est pas possible d’atteindre la foi sans faire appel à la raison. L’identification mystique avec Dieu sans le secours de la réflexion est un quiétisme dangereux.
L’étymologie même du mot culture comporte une notion de croissance : il n’y a pas de culture sans travail et sans effort. Pour retrouver un sens authentique de la culture, il faut savoir quelle humanité nous souhaitons établir. Voulons-nous un monde où l’homme est à l’image et à la ressemblance de Dieu, ou une terre coupée de toute relation avec les réalités transcendantes, un monde totalement sécularisé, un monde sans Dieu ? Dans le premier cas, nous pourrons faire grandir une culture noble et belle, dans l’autre, nous nous approcherons peu à peu de la sauvagerie. Le bonheur consiste dans un perfectionnement toujours plus riche d’une culture héritée de nos pères sous le regard de Dieu. La barbarie de l’inculture est dominée par la recherche d’une jouissance sans fin et par la satisfaction de nos instincts et de nos passions.
III) Notre force réside dans la Foi [3]
1) Force et douceur chrétiennes
La force est cette vertu qui nous permet d’affronter les périls corporels et spirituels. Souvent, en se réclamant d’une volonté de douceur et de bienveillance, on a éteint la véritable force chrétienne. Jésus nous dit que nous sommes le sel de la terre, pas le sucre du monde !
Heureux les doux ! Malheur aux mous et aux tièdes ! Les chrétiens doivent se réapproprier cette belle venu de force qui se marie si bien avec la douceur. Ils doivent savoir qu’ils seront toujours un signe de contradiction pour le monde. Le Seigneur ne nous a pas demandé de n’avoir pas d’ennemis mais de les aimer. La force chrétienne doit nous donner le courage d’affronter sans crainte le rire méprisant des bien-pensants, des médias et des prétendues élites. Nous devons retrouver l’audace de braver l’inquisition séculariste qui distribue les brevets de bonne conduite et stigmatise du haut de son autorité autoproclamée. Notre référence n’est pas en ce monde ! Nous n’avons que faire des applaudissements de la société, notre cité se trouve dans les cieux !
Notre force n’est pas un raidissement, une violence ou une rigidité. Elle est la certitude confiante et joyeuse qui faisait s’exclamer saint Paul : « Si Dieu est avec nous, qui sera contre nous ? » (Ro 8, 31).
2) Notre force est fondée dans la Foi
Notre force est fondée dans la foi en Dieu. Nous n’avons pas peur de défier ce monde parce que nous ne le faisons pas au nom de la puissance temporelle. Notre force ne s’appuie pas sur l’argent, la pression puissante des médias, l’influence ou la puissance militaire. Notre force est celle de Jésus. En janvier 2013, quelques semaines avant sa renonciation, Benoît XVI, fatigué, parla d’une voix fragile : « Dieu semble faible, si nous pensons à Jésus-Christ qui prie, qui se laisse tuer. Une attitude faible en apparence, faite de patience, de douceur et d’amour, démontre que telle est la vraie façon d’être puissant ! Telle est la puissance de Dieu ! Et cette puissance vaincra ! » La seule et vraie puissance de Dieu, c’est la puissance de l’amour qui meurt sur la Croix pour notre salut.
La force chrétienne est celle des martyrs qui sourient à leurs bourreaux. Il y a peu, on me racontait l’histoire de ce Touareg de quinze ans qui s’apprêtait à tuer un jeune chrétien malien de son âge. Il s’est armé et, quand il s’est approché de la victime qu’il avait choisie, le jeune Malien lui a souri et lui a dit : « Avant que tu me tues, je veux juste te dire que j’ai un message pour toi : Jésus t’aime. » Alors le Touareg s’est enfui, terrassé par la force de la vérité. Il s’est converti, il a été battu, il a été torturé. Il a dû fuir son pays et sa famille. Celui qui était violent est devenu fort, de la force du Christ. En octobre 2011, dans une homélie, Benoît XVI nous disait : « Celui qui veut être un disciple du Seigneur, son envoyé, doit être également prêt à la Passion et au martyre, à perdre sa vie pour Lui. […] Nous devons être disposés à payer de notre personne, à souffrir en première personne l’incompréhension, le refus, la persécution. Ce n’est pas l’épée du conquérant qui construit la paix, mais l’épée de celui qui souffre, de celui qui sait donner sa vie. »
3) La force est nécessaire pour les familles
Sur cette terre, le martyre n’est plus réservé aux pays musulmans. Il faut beaucoup de force pour être père et mère de famille aujourd’hui. Il faut une vraie magnanimité, cette vertu qui nous pousse à faire de grandes choses, pour oser l’aventure d’une famille chrétienne. Je veux dire à tous les parents chrétiens qu’ils sont la gloire de l’Église du XXIe siècle : votre témoignage est parfois un martyre quotidien. Vous devez affronter le mépris du monde quand vous choisissez de donner la vie. Vous devez affronter la précarité et l’incertitude du lendemain. Mais votre mission est grande ! Vous portez l’espoir du monde et de l’Église ! Les sourires et la joie de vos enfants sont votre plus belle récompense ! Soyez fermes ! Accrochez-vous à la foi ! Par votre fidélité à l’enseignement du Christ sur le couple et la famille, par vos marques d’amour quotidiennes, vous semez des germes d’espérance. Bientôt se lèvera la moisson.
4) Les prêtres et les consacrés ont eux aussi besoin de force
Je sais aussi combien les prêtres et les consacrés ont besoin de force : chers prêtres, vous œuvrez parfois dans l’obscurité, avec un sentiment d’échec. Même si la barque semble prise dans la tempête, tenez bon ! Ne cédez pas aux discours confus. N’abandonnez pas la tradition de l’Église : ce serait vous couper de vos racines. La barque est battue par la tempête. L’eau y entre en quantité : tenez ferme la barque, autrement dit, tenez ferme la doctrine et priez intensément. Regardez le Christ et non la violence du vent. N’ayez pas peur ! Jésus est avec nous, c’est lui qui tient la barre. L’Église est le seul navire qui jamais ne fera naufrage ! Accrochons-nous sans relâche à la Croix. Elle est le vrai signe de la force chrétienne. La force qui donne tout mais qui ne lâche rien !
5) La force de la Foi, c’est la Vérité du Christ
À tous les chrétiens, je voudrais dire que notre force contre ce monde de violence et de mensonge, c’est la vérité du Christ. En 1972, lorsqu’il s’est vu décerner le prix Nobel, Alexandre Soljénitsyne a déclaré : « La violence n’est pas seule, elle est intimement associée, par le plus étroit des liens naturels, au mensonge. […] Tout homme qui a choisi la violence comme moyen doit inexorablement choisir le mensonge comme règle. Au début, la violence agit à ciel ouvert, et même avec orgueil. Mais dès qu’elle se renforce, qu’elle est fermement établie, elle sent l’air se raréfier autour d’elle et elle ne peut survivre sans pénétrer dans un brouillard de mensonges, les déguisant sous des paroles doucereuses. Elle ne tranche pas forcément les gorges ; le plus souvent, elle exige seulement un acte d’allégeance au mensonge, une complicité. Et le simple acte de courage d’un homme simple est de refuser le mensonge : « Que le monde s’y adonne, qu’il en fasse même sa loi – mais sans moi. […] Et, dès que le mensonge sera confondu, la violence apparaîtra dans sa nudité et dans sa laideur. Et la violence, alors, s’effondrera. »
Ces paroles sont prophétiques ! Nous sommes parvenus à un âge où le monde ne cesse de solliciter notre complicité avec le mensonge. La force chrétienne est celle de la vérité et celle de notre foi, celle de l’amour de Dieu qui a été répandu dans nos coeurs par l’Esprit-Saint qui nous fut donné (Rm 5, 5).
6) Créer des îlots de vérité
La vérité est le milieu où la foi et l’amour sont vécus de façon authentique. C’est pourquoi nous devons créer des îlots de vérité. Chaque famille chrétienne, chaque école, chaque paroisse doit devenir un îlot où tout mensonge est banni, un lieu où nous refusons toute compromission avec l’idéologie du monde, le relativisme et la séduction. Les relations humaines doivent redevenir vraies et simples. Il est de notre responsabilité de faire entrer la vérité partout, dans les métiers, les relations professionnelles, politiques et sociales. Voilà la force chrétienne : refuser le mensonge. La vérité nous rendra libres, la vérité est notre force !
IV) La Foi est notre joie[4]
1) Garder l’esprit de Foi
Chers chrétiens, en nous offrant la foi, Dieu ouvre sa main pour que nous y posions la nôtre et nous laissions conduire par lui. De quoi aurions-nous peur ? L’essentiel est de garder fermement notre main dans la sienne ! Notre foi est ce lien profond avec Dieu lui-même. « Je sais en qui j’ai cru », dit saint Paul (2Tm 1, 12). C’est en Lui que nous avons mis notre foi. La conclusion du père Jérôme est lumineuse : « Dans le christianisme, il n’y a pas que la foi. Cependant, face à l’athéisme dur ou fluide, la foi acquiert une importance essentielle. Elle est en même temps le trésor que nous voulons défendre, et la force qui nous permet de nous défendre. » Garder l’esprit de foi, c’est renoncer à toute compromission, c’est refuser de voir les choses autrement que par la foi. C’est garder notre main dans la main de Dieu. Je crois profondément que c’est la seule source possible de paix et de douceur. Garder notre main dans celle de Dieu est le gage d’une vraie bienveillance sans complicité, d’une vraie douceur sans lâcheté, d’une vraie force sans violence. La foi est plus que jamais une vertu d’actualité !
2) La Foi est source de joie
Je veux souligner aussi combien la foi est source de joie. Comment ne pas être en joie quand nous nous remettons à celui qui est la source de la joie ! Une attitude de foi est exigeante, mais elle n’est pas rigide ni tendue. Soyons heureux puisque nous lui donnons la main. La foi engendre ensemble la force et la joie : « Le Seigneur est mon rempart, qui craindrais-je ? » (Ps 27, 1). L’Eglise se meurt, infestée par l’aigreur et l’esprit de parti. Seul l’esprit de foi peut fonder une authentique bienveillance fraternelle. Le monde se meurt, rongé par le mensonge et la rivalité. Seul l’esprit de foi peut lui apporter la paix.
3) Le courage de la Foi
Chers amis, je voudrais vous redire les paroles fortes et prophétiques du père de Lubac, écrites en 1942, en pleine guerre, dans son ouvrage Causes internes de 1’atténuation et de la disparition du sens du sacré : « Dans l’état actuel du monde, un christianisme viril et fort doit aller jusqu’à être un christianisme héroïque. […] Il consistera d’abord à résister avec courage, en face du monde et peut-être contre soi-même, aux entraînements et aux séductions d’un faux idéal, pour maintenir fièrement, dans leur paradoxale intransigeance, les valeurs chrétiennes menacées et bafouées. Avec une humble fierté, le chrétien qui veut demeurer fidèle ne peut que repousser d’un non catégorique un néopaganisme qui s’est constitué contre le Christ. La douceur et la bonté, la délicatesse envers les petits, la pitié – oui, la pitié – envers ceux qui souffrent, le refus des moyens pervers, la défense des opprimés, le dévouement obscur, la résistance au mensonge, le courage d’appeler le mal par son nom, l’amour de la justice, l’esprit de paix et de concorde, l’ouverture du cœur, la pensée du ciel […] voilà ce que l’héroïsme chrétien sauvera. Il n’a pas été promis aux chrétiens qu’ils seraient toujours le plus grand nombre. Il leur a plutôt été annoncé le contraire. Ni qu’ils paraîtraient toujours les plus forts et que les hommes ne seraient jamais conquis par un autre idéal que le leur. Mais, en tout cas, le christianisme n’aura jamais d’efficacité réelle, il n’aura jamais d’existence réelle et ne fera jamais lui-même de conquêtes réelles que par la force de son esprit à lui, par la force de la charité. »
4) « Reste avec nous, Seigneur… car le soir approche et déjà le jour baisse »
Oui, nous sommes plus que jamais appelés à être forts, vigoureux et inébranlables dans la foi ! Nous sommes comme les disciples. Après la crucifixion, ils ne comprennent plus. Leur foi est érodée. La tristesse les envahit. Ils croient que tout est perdu. Nous aussi, nous voyons le monde livré à l’avidité des puissants. L’Église semble envahie par l’esprit d’athéisme. Voici même que certains pasteurs abandonnent leurs brebis. La bergerie est dévastée. Nous aussi, comme les disciples, nous fuyons la ville, déçus, désespérés, et faisons route vers Emmaüs, vers le néant. Devant nous s’ouvre un chemin qui semble ne mener nulle part. Nous marchons sans comprendre et sans savoir où aller. Seul le vent vient hanter notre amertume.
Pourtant, voici qu’un homme chemine avec nous. De quoi vous entretenez-vous en marchant ? nous demande-t-il. Et nous lui racontons notre tristesse, notre angoisse, notre déception. Alors il reprend la parole, nous reprochant notre manque de foi : « O hommes sans intelligence et lents à croire ! Ne fallait-il pas que le Christ souffre cela pour entrer dans sa gloire ? Ne fallait-il pas que l’Église souffre pour être fidèle à son maître ? » Il nous explique les Écritures. Ses paroles nous réconfortent. Il ranime notre foi. Notre solitude est soudain brisée pas la force de sa certitude et la douce bienveillance de son regard.
Et tandis que, au loin, le soleil semble s’effacer derrière les montagnes, tandis que les ombres s’allongent sur le chemin et que le froid se répand dans les corps, notre courage se ranime et nous le prions. Notre cœur est tout brûlant quand tu nous parles. Reste avec nous, Seigneur, car le soir approche et déjà le jour baisse.
Références :
[1] Le soir approche et déjà le jour baisse p. 406-416
[2] Le soir approche et déjà le jour baisse p. 347-348
[3] Le soir approche et déjà le jour baisse p. 391-395
[4] Le soir approche et déjà le jour baisse p. 429-431